L’invention de « l’âge Kumba ». Comment l’âge des individus est-il devenu dynamique au Cameroun ? Georges Macaire Eyenga Dans Ethnologie françaiseEthnologie française 2024/1 (Vol. 54)2024/1 (Vol. 54), pages 105 à 116 Éditions Presses Universitaires de FrancePresses Universitaires de France ISSN 0046-2616 DOI 10.3917/ethn.241.0105 Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France.Distribution électronique Cairn.info pour Presses Universitaires de France. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Article disponible en ligne à l’adresseArticle disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2024-1-page-105.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2024-1-page-105.htm&wt.src=pdf https://www.cairn.info/publications-de-Georges-Macaire-Eyenga--685116.htm?wt.src=pdf https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise.htm&wt.src=pdf https://www.cairn.info/editeur.php?ID_EDITEUR=PUF&wt.src=pdf https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2024-1-page-105.htm&wt.src=pdf L’invention de « l’âge Kumba ». Comment l’âge des individus est-il devenu dynamique au Cameroun ? Georges Macaire Eyenga Wits institute for Social and Economic Research (WISER), Wits University eyengamacaire@yahoo.fr RÉSUMÉ Cet article analyse la manière dont les individus réagissent face aux barrières d’âge instituées par l’État dans l’accès à la fonction publique au Cameroun. L’instrumentation de l’âge civil montre que cet artéfact d’identification a un sens politique qui rend possible le classement et la catégorisation des individus en compétition pour l’accès aux postes de fonctionnaire. Les seuils d’âge institués sont des tris qui déterminent le droit à l’emploi et la fin de l’employabilité. Face à leurs effets discriminants, les individus s’engagent dans divers processus de modification de leur âge chaque fois que celui-ci entre en contradiction avec leurs projets de vie professionnelle. Cette manipulation de l’identité liée à l’âge devient cependant critique avec l’avènement de l’État biométrique plus attentif que l’État documentaire à la gestion des données personnelles. Il ressort de cet article que les pratiques de modification de l’âge loin d’être une simple disruption au jeu social, annoncent l’avènement d’une société où l’âge devient dynamique avec des conséquences pour l’identifica- tion civile. Mots-clés : Fonction publique. Instrumentation. Identification. Âge Kumba. Cameroun. ■ Introduction1 En 2019, A. Bakary (14 ans), élève dans un lycée de Yaoundé, est candidat au Brevet d’étude du 1er cycle. Son âge civil, connu de ses camarades, figure sur son bulletin de notes depuis sa classe de 6e. Mais en mars 2020, ses camarades découvrent avec surprise qu’il a rajeuni de 3 ans. L’acte de naissance présenté pour son dossier d’examen mentionne qu’il est né en 2009 au lieu de 2006, faisant de lui un élève de 11 ans. Pour se justifier, Bakary reprend le discours de ses parents selon lequel « il faut avoir des diplômes en étant jeune afin de rester éligible aussi longtemps que possible aux concours de la fonction publique ». Et il ajoute, « ce rajeunissement réduirait les problèmes d’âge en cas de cursus scolaire irrégulier »2. Au Came- roun, cette expérience concerne surtout des étudiants qui souhaitent intégrer la fonction publique dont l’accès est limité par des seuils d’âge, des fonctionnaires en fin de carrière qui souhaitent repousser leur départ à la retraite et des sportifs qui rêvent d’une carrière internationale. Parfois, ce sont les institutions que l’on Ethnologie française, LIII, 2024, 1, p. 105-116 modifie pour qu’elles concordent avec l’âge requis, comme l’illustre l’histoire du président ougandais Yoweri Museveni. Âgé de 74 ans en 2016 et appro- chant le seuil d’éligibilité à la présidence fixé à 75 ans, il a modifié la constitution pour se présenter à nouveau aux élections de 20213. Au Ghana, où « l’âge n’est qu’un nombre », la presse publie régulièrement des avis de changement de date de naissance d’agents publics proches de la retraite4. En 2021, la Fédération congolaise de football a déposé une plainte pour fraude contre la Fédération gabonaise au sujet d’un joueur gabonais qui serait né en 1990 en République démocratique du Congo, de parents congolais, mais qui aurait modifié son âge en s’engageant dans la pro- fession. L’affaire a été déboutée par le jury disciplinaire de la Confédération africaine de Football (CAF), qui a estimé que l’accusation ne reposait pas sur des élé- ments matériels suffisants5. Les Camerounais utilisent l’expression « âge Kumba » pour désigner cet âge qu’obtiennent les indi- vidus après modification de leur âge civil6. Kumba est le nom d’une ville située dans la région du Sud-Ouest Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 105 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) 106 Georges Macaire Eyenga du pays. Dans les années 90, la ville a acquis une cer- taine notoriété lorsque l’on a appris que les documents officiels (actes de naissance, cartes nationales d’identité, permis de conduire, etc.) y étaient délivrés avec une célérité peu ordinaire ; peut-être en raison de l’exis- tence de services publics désengorgés ou d’une meilleure organisation bureaucratique ? Depuis lors, son nom sert à désigner tout document illégalement modifié. À l’origine des efforts des individus pour modifier leur âge civil, se trouve le principe des seuils d’âge qui déterminent l’accès à un grand nombre d’institutions. Contrairement à un pays comme la France, où ces bar- rières ont été relativement supprimées au nom de l’égalité devant le droit et l’administration7, l’accès à la fonction publique camerounaise reste conditionné par des seuils d’âge avec une grande variabilité entre 17 et 32 ans, et fixés délibérément par les grandes écoles où sont formés les futurs fonctionnaires comme nous le verrons plus loin. Dans un contexte où l’État reste le principal employeur, une situation quasi générale en Afrique, obtenir un emploi public ou se maintenir en fonction constituent un défi qui implique des transac- tions et des ruses pour les jeunes en quête d’emploi comme pour les fonctionnaires en fin de carrière : un départ à la retraite peut très rapidement signifier un retour « au quartier », voire « au village », c’est-à-dire l’exclusion d’un monde social restreint réservé aux individus ayant un emploi formel et stable8. « L’âge Kumba » est ainsi devenu une réponse des individus à leur exclusion de la compétition pour les postes dans la fonction publique, dans un contexte de pénurie d’emplois. La crise économique des années 80-90 a eu des effets variables sur la biographie des individus, les empêchant parfois d’être éligibles aux recrutements publics en raison de l’existence de ces seuils d’âge. L’âge civil, en tant qu’âge figurant sur les documents d’identité9, est ainsi un artéfact administratif dont la manipulation ne saurait être appréhendée indépen- damment du contexte postcolonial. Les sociologues qui se sont penchés sur la théma- tique de l’âge en Afrique se sont jusqu’ici intéressés aux rites de passage au statut d’adulte [Droz, 2015], à la condition des cadets sociaux [Beuvier, 2020] ou au vieillissement des populations [Sajoux, 2015 ; Sajoux, Golaz et Lefèvre, 2015]. La catégorie « d’âge » a régu- lièrement été appréhendée au prisme des études sur la jeunesse africaine [Peatrik, 2020] décrivant les condi- tions de vie des jeunes, leurs parcours d’autonomisa- tion, leurs trajectoires sociales ou leurs expériences de Ethnologie française, LIII, 2024, 1 subjectivation [Amougou, 2016 ; Comaroff et Coma- roff, 2000 ; Gastineau et Golaz, 2016 ; Eyenga, 2021]. Certains travaux ont souligné l’émergence de l’âge comme une catégorie statistique répondant à une demande nationale et internationale de données desti- nées à orienter les politiques publiques, en soulignant la manière dont la catégorie d’âge imposée « par le haut » a été réappropriée « par le bas » pour servir d’appui à des mobilisations politiques [Golaz et al., 2016]. Ces travaux considèrent l’âge civil comme un principe de sélection et de hiérarchisation socio-poli- tique, mais sans aborder la manière dont cette catégo- rie peut être contestée, subvertie et redéfinie par les individus pris dans des configurations jugées discrimi- nantes. Cet article vise à ouvrir ce champ en s’intéres- sant à la manière dont les individus réagissent aux seuils d’âge civil institués dans les politiques de l’emploi. La remise en cause de cette « police des âges » est ainsi à resituer dans le cadre d’une économie des biens identitaires dont l’analyse permet de saisir l’agentivité des individus disposant d’une capacité à mobiliser, non pas une seule « identité », mais plu- sieurs, toutes fluides, et qu’il faut à ce titre « négocier constamment » [Mbembe, 1992]. Au-delà de son apparente naturalité ou linéarité, l’âge civil est donc « une catégorie politique, historique, contingente, tout comme le genre, la classe, la sexualité, ou la race qu’elle contribue aussi à signifier » [Rennes, 2009 : 9]. Notre analyse prolonge ainsi les réflexions de Juliette Rennes sur la « tyrannie de l’âge », qui récusent la réification des âges de la vie pour penser les catégories d’âge non seulement comme un outil statistique mobilisé par l’État, mais aussi comme une classification contestée et reconfigurée par les acteurs sociaux. Dans cette réflexion, l’âge civil est justement une identité qui est par définition en mouvement, ce qui la distingue d’autres types d’identités apparemment plus « essentielles » (telles que l’ethnie ou le genre) mais qui, au regard des identités d’âge, pourraient éga- lement être amenées à être appréhendées de façon plus souple. Nos données sont issues d’une enquête menée de septembre 2020 à mars 2021 dans un établissement secondaire de Yaoundé. Nous avons réalisé un focus group avec des élèves d’une classe de 3e et de Terminale sur leurs expériences de modification de l’âge. Ce corpus d’enquête se trouve complété par vingt entre- tiens informels menés avec des jeunes diplômés au chômage, des fonctionnaires, des retraités, des sportifs et des parents d’élèves. À l’instar des recherches sur la Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 106 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) L’invention de « l’âge Kumba ». Comment l’âge des individus est-il devenu dynamique au Cameroun ? 107 corruption, l’étude de « l’âge Kumba » porte sur « des pratiques en grande partie clandestines, ou cachées et sur des représentations fortement normatives » [Blundo et Olivier de Sardan, 2007 : 10]. Mises à part les données sur les jugements supplétifs rendus lors des déclarations tardives de naissance, il n’existe à ce jour aucune statistique officielle concernant les personnes ayant changé leur âge. En plus des cas constatés dans les milieux scolaires et sportifs, l’ampleur du phéno- mène au niveau des services publics est révélée par la difficulté que rencontrent les fonctionnaires de police au service de l’identification civile dans la production de cartes nationales d’identité ou de passeports en raison du nombre d’individus aux identités multiples [Eyenga, Omgba Mimboe et Bindzi, 2022]. En l’absence de statistiques, il reste possible d’appréhender le phénomène par le biais d’une approche qualitative, à partir du sens subjectif que les individus donnent à ces pratiques. Après avoir montré que l’institutionnalisation de l’âge civil relève de la biopolitique, notre analyse ques- tionne la police des âges en lien avec les pratiques de tri à l’entrée de la fonction publique. Cette police se réfère aux règles et régulations établies par les autorités publiques concernant les limites d’âge pour être éli- gible à occuper certaines fonctions au sein de la fonc- tion publique. L’analyse décrit ensuite la peur qui anime les futurs retraités et les jeunes contraints parfois de modifier leur âge civil pour rester éligibles à l’emploi. Elle se termine en s’intéressant au devenir des pratiques de modification de l’âge civil avec l’avè- nement du gouvernement biométrique. ■ Instrumentation et biopolitique des âges L’instrumentation désigne « l’ensemble des pro- blèmes posés par le choix et l’usage des outils qui per- mettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale » [Lascoumes et Le Galès, 2005 : 12]. Cette notion est utile pour comprendre les logiques qui poussent les autorités à retenir tel seuil d’âge civil plutôt que tel autre, ainsi que les effets pro- duits par ces choix. Depuis l’antiquité, l’âge civil est une variable qui sert à assigner les rôles sociaux [Gaxie, 1978]. Il s’aligne sur l’âge calendaire, mais les classes d’âge distinguées constituent des constructions sociales Ethnologie française, LIII, 2024, 1 qui déterminent le statut des individus [Razé, 2013] : selon votre âge civil, vous aurez droit à une protection sociale ou non, vous pourrez être pénalement pour- suivi ou non, vous pourrez avoir accès à un emploi ou en être exclu, etc. Pour les emplois publics, l’établisse- ment de seuils d’âge est légitimé par la nécessité de garantir aux fonctionnaires une carrière suffisamment longue pour assurer une retraite adéquate, tout en agissant comme un mécanisme sociotechnique de régulation des candidatures pour ces postes. « De fait, l’organisation étatique, administrative et juridique de la société en classes d’âge dans le système scolaire, l’armée, ou à travers les politiques d’aide sociale s’est souvent construite comme une mesure de rationalisa- tion, mais aussi d’égalisation des existences » [Rennes, 2009 : 7]. Le fait d’instituer un seuil d’âge civil peu élevé dans l’admission à la fonction publique informe aussi de la volonté d’assurer l’homogénéité des promo- tions, en se concentrant sur un public récemment diplômé du système d’éducatif10. Si les seuils d’âge civil sont « porteurs de valeurs, nourris d’une interprétation du social et de concep- tions précises du mode de régulation envisagé » [Las- coumes et Le Galès, 2005 : 13], ils acquièrent une apparence de naturalité car l’État dispose « d’un pou- voir de constitution comme pouvoir essentiellement politique de faire exister ce qui est dit » [Bourdieu, 2015 : 87]. Présentées comme des outils axiologique- ment neutres et indifféremment disponibles, les caté- gories d’âge masquent et euphémisent les rapports de pouvoir. L’autorité qui fixe les seuils institue des divi- sions relativement décorrélées de tout critère biolo- gique. On peut par exemple se demander pourquoi la loi camerounaise autorise un individu de 23 ans à candidater pour un poste d’officier supérieur dans l’armée, mais lui interdit lorsqu’il atteint 27 ans. L’âge civil n’est donc pas seulement un élément d’identifi- cation, mais un véritable capital symbolique sociale- ment institué. Les seuils d’âge sont des barrières mobiles qui peuvent être déplacées, redéfinies et sup- primées. ■ La police des âges, tri à l’entrée de la fonction publique La fonction publique regroupe l’ensemble du per- sonnel employé par les services publics [Pochard, Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 107 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) 108 Georges Macaire Eyenga 2011]. L’article 12 du décret du 7 octobre 1994 por- tant statut général de la fonction publique de l’État dispose que son accès est ouvert à toute personne de nationalité camerounaise sans discrimination aucune. Pourtant, l’article 13 précise que « nul ne peut être recruté comme fonctionnaire s’il n’est âgé de 17 ans au moins et de 35 ans au plus pour les fonctionnaires des catégories A et B, et de 17 ans au moins et 30 ans au plus pour les fonctionnaires des catégories C et D ». Ce décret qui prétend n’opérer aucune discrimination en consacre ainsi pourtant le principe, en édictant des seuils d’âge comme condition d’éligibilité à la fonction publique (bien que les personnes atteintes d’un handi- cap bénéficient d’un aménagement de cette condi- tion)11. Nombre de travaux juridiques ont en effet montré le caractère proprement discriminatoire en droit des conditions d’âge [Gosseries, 2009], d’autant que ce critère « peut facilement interférer avec d’autres critères discriminatoires et, par conséquent, conduire au phénomène des discriminations multiples ou inter- sectionnelles » [Gualco, 2015 : 196]. Cette qualité discriminatoire devient plus évidente encore en observant le pointillisme avec lequel la condition d’âge se trouve parfois déclinée, notamment pour ce qui concerne l’éligibilité au concours de cer- tains postes de la fonction publique. Ainsi pour le concours d’admission à l’École militaire interarmées (EMIA) : un candidat au tronc « A » (grade de sous- lieutenant) doit être âgé de 18 à 23 ans, un candidat au tronc « B1 » (grade de sous-officier) ne doit pas avoir plus de 30 ans, tout comme un candidat au tronc « D » (civil titulaire d’un doctorat en médecine géné- rale, pharmacie, chirurgie dentaire, vétérinaire), tandis qu’un candidat au tronc « B2 » (grade de sous-officier titulaire d’un diplôme de l’enseignement supérieur ou d’ingénieur) peut avoir jusqu’à 32 ans et un candidat au tronc « C » (civil titulaire d’un diplôme de l’ensei- gnement supérieur ou d’ingénieur), jusqu’à 26 ans12. Les autres concours d’accès à la fonction publique reproduisent des découpages similaires. Ainsi pour le concours de la gendarmerie, un candidat au grade de sous-officier de gendarmerie doit être âgé de 18 ans au moins et 23 ans au plus, tout comme un candidat au grade d’élève-gendarme, tandis que la limite d’âge fixée pour un candidat au grade de sous-officier de gendarmerie (option santé militaire) est de 28 ans. Un candidat au concours de l’École nationale d’adminis- tration et de magistrature (ENAM) doit avoir 17 ans au moins, et 32 ans au plus, pour celui de l’École nationale supérieure de la police (ENSP), 17 ans au Ethnologie française, LIII, 2024, 1 moins, et 30 ans au plus ; pour celui de l’École nor- male supérieure (ENS), 28 ans au plus pour un candi- dat au 1er cycle, 32 ans pour le 2nd ; l’Institut des relations internationales du Cameroun (IRIC) ne recrute pas de personnes au-delà de 32 ans ; quant à l’Institut national de la jeunesse et des sports (INJS), il faut être âgé de 17 ans au moins et de 31 ans au plus pour passer le concours externe, et de 40 ans au plus pour l’interne. Le recrutement des contractuels, qui ne disposent pas d’un concours, est aussi conditionné par des critères d’âge. Ainsi les candidats au poste de journaliste doivent avoir 17 ans au moins et 34 ans au plus13 ; pour les contrôleurs-adjoints du travail et de la prévoyance sociale, 17 ans au moins et 29 ans au plus14. Quant aux universités publiques, elles pratiquent d’ordinaire le « remplacement numérique », c’est-à- dire un recrutement visant à pourvoir les postes libérés par les enseignants démissionnaires, retraités ou décé- dés en fonction. Ce type de recrutement n’est pas soumis à une condition d’âge. En 2019 cependant, le ministère de l’Enseignement supérieur a lancé un pro- gramme spécial de recrutement de 2000 enseignants d’université étalé sur trois ans, avec un seuil d’âge fixé à 45 ans. Ce dernier a suscité des protestations parfois vives des personnes exclues du programme à cause de leur âge. En 2011, lors d’un autre programme spécial de recrutement, cette fois de 25 000 agents publics, le seuil d’âge avait été au contraire relevé de 32 ans à 40 ans. À ces variations des seuils d’âge à l’admission à la fonction publique s’ajoutent celles de la fin l’employabilité. ■ La peur de la retraite Depuis les années 2000, l’âge du départ à la retraite fait l’objet de vifs débats du fait que certains fonction- naires restent en fonction après avoir atteint l’âge de la retraite, renforçant les crispations intergénération- nelles : les fonctionnaires de plus de 60 ans repré- sentent ainsi environ 5,5 % de la population. Certains ne perçoivent plus de salaire, mais restent en poste afin de tirer profit des budgets et des « avantages de ser- vice » ; d’autres parviennent à obtenir des rallonges officielles pouvant aller jusqu’à quatre ans de maintien en poste. Les hauts fonctionnaires ne quittent quant à eux leur poste qu’à la nomination de leur remplaçant, pouvant ainsi y rester pendant plusieurs années après Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 108 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) L’invention de « l’âge Kumba ». Comment l’âge des individus est-il devenu dynamique au Cameroun ? 109 leur retraite officielle. Au sein de l’armée nationale, certains septuagénaires sont toujours en activité pour la simple raison que depuis les indépendances en 1960, aucun général d’armée n’a jamais fait valoir ses droits à la retraite. L’âge légal de leur départ à la retraite avait pourtant été repoussé de 57 à 61 ans en 200115. Les médecins de la fonction publique, qui récla- maient depuis 2015 une harmonisation de l’âge de la retraite au vu de la durée particulièrement importante de leur formation, ont obtenu en juillet 2020 que le départ à la retraite des fonctionnaires de la Santé publique soit repoussé de 5 ans, en étant fixé à 60 ans pour les catégories A et B, et à 55 ans pour les catégo- ries C et D16. En décembre 2020, cette nouvelle dis- position a été étendue à l’ensemble des fonctionnaires17. Bien que cette réforme ait été saluée par ses bénéficiaires, certains estiment que par souci d’équité, un nouveau décret s’impose qui rallongerait l’âge d’admission aux concours de la fonction publique : « si certains peuvent [y] travailler […] plus longtemps, d’autres devraient y avoir accès pendant plus longtemps. 32 ans comme âge limite est trop juste […] au regard des nouveaux âges de départ à la retraite »18 juge ainsi Anne Féconde Noah, vice-prési- dente du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN). Quoi qu’il en soit, vus depuis les pays occidentaux, ces seuils d’âges pour le départ en retraite sont très bas. Mais il faut les situer par rapport à l’espérance de vie au Cameroun, qui en 2020 était de 58 ans pour les hommes et 60,5 ans pour les femmes, contre respectivement 79,2 ans et 85,3 ans en France. En Afrique, les systèmes de retraite de type contri- butif19 fonctionnent selon le mode de la répartition (par opposition à la capitalisation) : les actifs versent une cotisation au titre de l’assurance-vieillesse qui sert à payer les pensions des retraités [Eyinga Dimi, 2014]. Le montant des pensions est extrêmement bas. Au Cameroun, « un fonctionnaire de catégorie D (indice 200) qui dispose en activité d’un salaire de 85 938 francs CFA (131 €) ne perçoit à la retraite qu’une pension de 38 672 francs CFA (61 €). Un fonctionnaire de catégorie A (indice 1115) qui perçoit un salaire de 412 395 francs CFA (630 €), ne perçoit à la retraite que 243 313 francs CFA (371 €), soit à peu près la moitié du salaire qu’il avait lorsqu’il était encore en activité » [Ibid.]. On peut noter par ailleurs qu’avec le départ à la retraite, les fonctionnaires perdent les primes et les avantages de services qui Ethnologie française, LIII, 2024, 1 dépassaient parfois leur salaire de base. Cette paupéri- sation est d’autant plus rude que de nombreux agents publics âgés ont à faire face à des dépenses de santé importantes et ont encore leurs enfants à charge, notamment lorsque ceux-ci sont au chômage. Comme l’explique l’un d’entre eux : Les procédures bureaucratiques lourdes et la corruption des fonctionnaires dans un contexte de crise écono- mique sont autant de problèmes qui pèsent sur le paie- ment des indemnités de fin de carrière. Les fonctionnaires modifient leur âge parce qu’il n’y a pas de sécurité sociale pour répondre à leurs besoins après la retraite et parce qu’ils ne veulent pas perdre leurs revenus réguliers. Cette situation est motivée par le fait que le pays offre une sécurité sociale insignifiante après la retraite. D’ailleurs, un fonctionnaire moyen même s’il le voulait, ne peut pas avoir une vie stable après sa retraite, en raison du fait qu’il est difficile d’épargner lorsqu’on a un salaire insignifiant face à la cherté de la vie. J’ai un collègue qui prend en charge une famille de 12 per- sonnes alors qu’il n’est pas un haut-fonctionnaire. Pour tenir, il fait tout pour rester en poste afin d’assurer ses charges alors qu’il devrait déjà être en retraite. Ce collè- gue-là, je vais parler rapidement, a falsifié son âge. Il pourra encore travailler pendant cinq ans. En ce qui me concerne, c’est l’idée de ne plus pouvoir se lever chaque jour et de me rendre à mon bureau qui me hante. Je redoute la perte de mon titre et les honneurs qui vont avec.20 La retraite marque ainsi « une rupture avec un passé qui comportait des contraintes horaires, hiérarchiques, des enjeux économiques, mais aussi un contexte de socialisation, d’appartenance identitaire, de réalisation et de valorisation de soi. La rupture avec ce passé implique un deuil, au même titre que l’entrée dans l’âge adulte impliquait la perte de l’enfance » [Alaphi- lippe, Gana et Bailly, 2001 : 32]. Qui plus est, il arrive que les nouveaux retraités aient à attendre jusqu’à deux ans avant de percevoir leurs droits en raison d’une méconnaissance des formalités administratives et de la corruption des fonctionnaires en poste. Dans des cas extrêmes, les ayants droit décèdent avant même de toucher le moindre versement [Sokoh, 2017 : 57]. De nombreux fonctionnaires obligés de partir en retraite se trouvent ainsi tentés par le suicide. Ce spectre de la retraite est à resituer dans « l’âgisme » à savoir « les attitudes, les actions et les mots conférant aux gens un statut social inférieur du seul fait de leur âge, quel qu’il soit » [MacNicol, 2009 : 26]. Il sert de caution aux Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 109 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) 110 Georges Macaire Eyenga expériences de modification de l’âge légal par les fonc- tionnaires en fin de carrière. Ainsi, il nous semble que le régime des seuils d’âge se saisit à travers la multiplicité des situations, où l’on voit que chaque institution fixe ses limites en fonction de spécificités techniques et d’enjeux politiques au sein de l’État. Ces modalités de classement vont jusqu’à déterminer l’intervalle entre la date officielle de nais- sance du candidat et le seuil de son éligibilité (jour, mois et année). C’est donc dire que l’établissement des seuils d’âge limite le mouvement d’entrée dans la fonction publique de salariés ou de travailleurs indé- pendants dont l’expérience acquise dans le secteur privé pourrait bénéficier au service public en quête d’agilité. En même temps, il trace les limites au-delà desquelles, l’individu perd son droit à une charge publique. Refusant de subir les effets d’exclusion que produisent ces seuils d’âge, certains individus optent désormais pour une redéfinition de leur identité liée à l’âge. ■ Réinventer son âge, une norme pratique chez les « Kumbatois » Les demandes de modification de l’âge se globa- lisent comme nous le montre l’histoire du Néerlandais Émile Ratelband, 69 ans, ayant fait les choux gras de la presse mondiale lorsqu’il a engagé une procédure judiciaire dans son pays en vue d’une modification de son âge civil pour cause de discrimination dans la recherche de l’emploi. Sa demande de réduction de vingt ans d’âge qui lui aurait permis d’avoir 49 ans et de se sentir bien dans sa peau, avait été déboutée par la justice craignant la disparition de vingt ans de dos- siers des registres de l’état civil avec des conséquences juridiques et sociales indésirables21. Aussi, au Came- roun, face aux effets d’exclusion que produisent les seuils d’âge, certains individus préfèrent agir pour modifier leur âge civil. Cette pratique largement répandue est susceptible de recevoir diverses interpré- tations. Jérôme Tosam [2015] met en évidence le lien entre cette pratique et le contexte postcolonial marqué par la crise et le chômage. Il la perçoit, par exemple, comme une forme de corruption du contrat social. Dans une perspective similaire, Chris Sokoh [2017], qui a examiné les services publics au Nigéria, estime que cette manipulation nuit au renouvellement du Ethnologie française, LIII, 2024, 1 personnel et des idées, provoquant ainsi une stagnation de l’administration qui peine à se réinventer. La bana- lité de la pratique de modification de l’âge en Afrique invite cependant à dépasser ces arguments. Plutôt que comme une simple opération de corruption des normes formelles, il semble en effet plus juste de considérer cette façon d’agir comme l’institution d’une « norme pratique » à savoir de « diverses régula- tions de facto, informelles, tacites, latentes qui sous- tendent les pratiques des acteurs ayant un écart avec les normes formelles » [Olivier de Sardan, 2017 : 67]. En 1999, prenant l’exemple des homosexuels, Guy Bajoit a analysé les « tensions existentielles » à savoir les sentiments de malaise ou de souffrance à l’origine de la volonté de l’individu de se reconstruire une nouvelle identité. Ces tensions prennent diverses formes : il y a l’individu victime d’un déni de recon- naissance par les autres (sujet dénié) ; celui qui est divisé avec lui-même entre ce qu’il est et ce qu’il aurait voulu être (sujet divisé) ; et celui frustré de la non- réalisation de ses attentes sociales (sujet anomique). Selon G. Bajoit, c’est ici qu’émergent les « logiques du sujet » c’est-à-dire, le « travail sur soi » et « […] sur les autres » auquel se livre l’individu pour subjuguer ces tensions. Il s’agit pour l’individu de se doter « d’une capacité de se parler lui-même, de forger un récit par lequel il plaide sa cause devant lui-même ; où il s’explique ce qui lui est arrivé, ce qu’il a fait, ce que les autres lui ont fait » [Bajoit, 1999 : 75]. Il s’agit ensuite pour lui de s’engager en concevant « ce qu’il va faire pour agir sur les autres, et partant, sur les tensions structurelles auxquelles les institutions le soumettent » [Bajoit, 1999 : 76]. Ainsi, l’individu construit son identité personnelle d’une part, par ce « travail sur soi », qu’il cherche alors à réaliser concrètement dans son milieu ; et d’autre part, par « un travail sur les autres », en interagissant avec eux, en produisant le lien social et en s’engageant dans les logiques d’actions sociales [Ibid. : 78]. Cette théorie de l’identité person- nelle éclaire les réflexions sur les expériences de chan- gement d’âge civil. Largement partagées et assez routinières, ces expériences de changement d’âge civil relèvent de l’ordre du latent, de l’implicite et du caché au sein d’une société permissive. En d’autres termes, elles se déroulent de manière discrète et non explicite, souvent intégrées dans la routine de la vie quotidienne. Les individus mettent en œuvre cette « norme pra- tique » principalement dans deux cas de figure : le « changement par anticipation » lorsque des parents anticipent les difficultés potentielles dans le parcours Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 110 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) L’invention de « l’âge Kumba ». Comment l’âge des individus est-il devenu dynamique au Cameroun ? 111 de leur enfant, et le « changement par contrainte » qui concerne soit les jeunes diplômés, soit les fonction- naires en fin de carrière. Le changement par anticipa- tion trouve son origine dans la crise économique qui a frappé le Cameroun au cours des années 90. Cette crise avait en effet conduit à une limitation des recru- tements dans la fonction publique. Cette situation condamnait à une vie précaire de nombreux individus qui n’avaient plus l’âge requis à la reprise des recrute- ments au début des années 2000 : Avant les années 90, les recrutements militaires étaient basés sur la compétence physique. On faisait courir les candidats dans un stade et on sélectionnait les meilleurs. Je n’ai jamais voulu l’armée, car à l’époque, ce métier était peu attractif, mais aujourd’hui je regrette. Lorsque j’ai obtenu mon Bac en 1990, la crise est arrivée et le gouvernement a limité les recrutements publics pendant sept ans. Vers les années 2000, lorsque les concours ont été relancés, je n’avais plus l’âge requis pour être éligible. Certains camarades dans la même situation que moi ont décidé de changer leur âge, de refaire leurs diplômes pour être admis à la fonction publique. Moi, je ne l’ai pas fait, mais peut-être que j’aurais dû. Aujourd’hui, je vis une vie misérable, car victime des limitations de l’âge.22 Certains parents ont ainsi décidé d’abaisser l’âge de leurs enfants encore jeunes alors même que ceux-ci ne rencontraient aucun problème lié à leur âge calendaire. Cette opération est peu coûteuse et moins compliquée qu’une modification plus tardive, comme l’explique ce parent d’élève : Lorsqu’on change l’âge d’un enfant encore tout petit et sans diplôme, cela est moins coûteux et réduit les risques de double identité. Le seul travail à faire, c’est de refaire un nouvel acte de naissance avec le nouvel âge, c’est possible de le faire facilement. Cependant, s’il a déjà un ou deux diplômes, le changement de l’âge nécessitera pour éviter des ennuis qu’il recompose les examens officiels qu’il avait déjà composés dans le passé, mais cette fois-ci avec son nouvel âge. Et cela est très couteux et pas évident.23 Dans le milieu sportif, l’âge des primo-arrivants est modifié dès l’établissement de leur première licence sportive afin de tenir compte des retards de parcours dans leur carrière professionnelle. En 2020, Gui- rane N’Daw, ancien footballeur sénégalais âgé de 35 ans, témoigne ainsi : Ethnologie française, LIII, 2024, 1 Comme tous les Sénégalais, j’ai triché sur mon âge pour être professionnel. En Afrique, je ne dis même pas au Sénégal, le joueur qui ne diminue pas son âge ne pourra pas être professionnel. C’est une réalité, qu’on le veuille ou non. Au Sénégal, 99 % des joueurs ont diminué leur âge.24 Les propos de Guirane N’Daw rappellent la polé- mique autour du footballeur camerounais Samuel Eto’o. En 2014, alors qu’il avait 33 ans et évo- luait à Chelsea Club, son entraîneur José Mourinho avait insinué qu’il devait être plus âgé que ce qu’il affichait officiellement. L’entraîneur pointait ainsi du doigt un décalage énorme entre l’âge civil du joueur et son âge physique. Les autorités du club avaient caté- goriquement réfuté cette affirmation25, tandis qu’au Cameroun le caractère banalisé de cette pratique avait au contraire nourri la satire. Eto’o avait ainsi été cari- caturé avec un visage de vieillard, tenant une canne à la main, et le groupe de musique Featurist avait pro- duit un vidéogramme intitulé Babaah, ou « la danse du grand-père », dans lequel figurait une séquence de jeu où après avoir marqué un but, Eto’o se tenait le dos pour railler les propos de son entraîneur26. Le change- ment d’âge est une pratique si répandue dans le milieu sportif qu’en 2011, la Confédération africaine de Football a institué un test obligatoire d’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour vérifier l’âge des footballeurs de moins de 17 ans engagés dans les com- pétitions internationales27. La fusion complète du car- tilage de croissance à l’IRM (stade 6) confirme avec un niveau de certitude de 99 % que l’individu est âgé de plus de 17 ans. Ceci est un critère formel d’élimi- nation pour la sélection FIFA U-17. Le 28 décembre 2022, la Fédération camerounaise de football (FECA- FOOT) avait publié un communiqué de presse infor- mant l’opinion nationale que dans le cadre des préparatifs du tournoi UNIFFAC Limbe 2023, tenant lieu de qualification au prochain championnat d’Afrique des nations des U-17, 21 joueurs sur les 30 avaient été recalés en raison d’un test positif à l’IRM et sortis immédiatement du groupe. Pour la FECA- FOOT, l’expulsion de ces joueurs participe de la volonté de mettre fins aux tripatouillages sur les états civils qui continuent de ternir l’image du football camerounais. Quant au « changement par contrainte », il concerne d’abord les diplômés ayant eu une scolarité irrégulière ou des expériences d’échec répétées aux concours publics : Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 111 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) 112 Georges Macaire Eyenga J’ai obtenu mes diplômes tardivement en raison d’une scolarité difficile. Puis, j’avais dépassé l’âge pour faire certains concours et tout cela me frustrait beaucoup. J’ai donc décidé de changer mon âge en adoptant une nou- velle identité et j’ai refait certains diplômes essentiels. Aujourd’hui, je suis fonctionnaire grâce à ce change- ment de l’âge.28 Dans un cas spectaculaire, un individu à la silhouette sèche et au physique adolescent avait été admis au concours de la police, au grade d’officier, avant que l’administration ne se rende compte qu’il avait abaissé son âge de 25 ans [Omgba Mimboe, 2015 : 619]. Il existe aussi des pratiques de « transfert d’âge », expres- sion qui désigne le fait pour un individu d’emprunter l’identité de l’un des membres de sa famille. Le « changement par contrainte » concerne aussi les fonctionnaires en fin de carrière soucieux de retarder leur départ à la retraite. Jusqu’en l’an 2000, certains fonctionnaires proches de la retraite pouvaient profiter des défaillances du service d’archives de l’État, qui trai- tait encore les informations personnelles de façon manuelle. Chaque recensement des agents publics exi- geait la présentation de nouvelles pièces (acte de nais- sance, actes de carrière, d’avancement ou d’attribution d’indemnités), et offrait ainsi l’occasion de modifier les données enregistrées [Ibid.]. Comme le note Gbosien Chris Sokoh [2017 : 56], « la modification de l’âge est devenue notoire en raison de la médiocrité des proces- sus d’archivage qui rendent difficile la recherche des données exactes initialement fournies par la plupart des fonctionnaires ». Mais cette situation commence à changer avec la digitalisation du traitement des dossiers administratifs et la biométrisation des procédés d’iden- tification civile. ■ Modifier son âge à l’ère du gouvernement biométrique Comme l’illustrent les conditions d’accès aux plate- formes numériques, la digitalisation des sociétés afri- caines ne rompt pas avec l’importance accordée à l’âge civil dans la définition des rôles sociaux et dans l’accès aux ressources. Lorsqu’un individu crée un compte d’utilisateur chez Google, Yahoo ou Facebook, il doit préciser sa date de naissance, qui sert ensuite à déter- miner son âge et son accès au service. En Belgique, en France ou aux États-Unis par exemple, la majorité Ethnologie française, LIII, 2024, 1 numérique, c’est-à-dire l’âge à partir duquel un indi- vidu peut s’inscrire seul sur un réseau social, est fixée à 13 ans. Mais l’absence de contrôle des informations déclarées entraîne une certaine plasticité dans « la pro- duction des subjectivités numériques » [Cardon, 2008]. Les utilisateurs de Facebook au Cameroun sont coutu- miers du fait que l’âge affiché sur un compte d’utilisa- teur reflète rarement l’âge civil. Les individus aiment tromper sur leur âge civil. Tandis que les plus jeunes affichent un âge avancé pour paraître mature et copiner avec les grandes personnes, celles-ci à l’inverse, réduisent leur âge pour rester dans le flux des conversations juvé- niles29. Certaines fonctionnalités des réseaux sociaux rap- pellent de façon récurrente l’âge civil des utilisateurs, à l’instar des notifications d’anniversaire de Facebook. Ces notifications attirent l’attention sur la progression de l’âge de l’utilisateur. Un utilisateur Facebook qui célébrait son anniversaire écrit ainsi : « Mon acte Kumba dit que hein… que norrr… que j’ai l’âge de la maturité ! L’âge des actions concrètes, l’âge de l’expérience ». Un autre, au message suivant : « Chers amis, j’ai 23 ans aujourd’hui ! J’attends les cadeaux », reçoit des commentaires tels que : « Dis-moi, c’est l’âge Kumba ou alors tu as seulement le corps ? » ; « Maintenant, dis-nous ton vrai âge ! » ; « Chaque année, tu as 23 ans ? », etc. Ces commentaires signalent sur le ton de l’humour que la réalité numérique crée de nouvelles conditions de redéfinition de son identité civile, notamment l’adoption d’un âge adapté permet- tant de bénéficier des ressources offertes par le cyberes- pace. Cependant, si le cyberespace favorise la plasticité des identités, ce n’est pas le cas du gouvernement bio- métrique. Depuis bientôt cinq ans, suivant les recommanda- tions de l’ONU formulées dans les « Objectifs du développement durable » (objectif no 16.930), le gou- vernement camerounais s’est engagé dans un processus de biométrisation des identités [Awenengo Dalberto, Banégas et Cutolo, 2018 ; Eyenga, Omgba Mimboe et Bindzi, 2022]. Réalisée au nom de la « bonne gou- vernance », cette biométrisation limite la capacité des individus à s’adapter aux contraintes des seuils d’âge qui pèsent sur eux. En effet, au-delà des ratés tech- niques que connaît parfois le processus de biométrisa- tion des identités [Breckenridge, 2014 : 12], l’on note Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 112 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) L’invention de « l’âge Kumba ». Comment l’âge des individus est-il devenu dynamique au Cameroun ? 113 un encastrement social et politique continu des identi- tés civiles et la persistance d’un État documentaire tra- ditionnel à côté de l’État biométrique naissant [Awenengo Dalberto et Banégas, 2021]. En 2015, le Cameroun a lancé une réforme de son système d’identification civile, dont deux agences ont la responsabilité : le Système de sécurisation de la nationalité camerounaise (Senac) et le Centre national de développement de l’informatique (Cenadi). Cette réforme vise à produire des titres identitaires sécurisés : carte nationale d’identité (CNI), carte de séjour, carte de réfugié, carte professionnelle des fonctionnaires de la sûreté nationale, carte de retraité pour les personnels de la sûreté nationale retraités [Mbang, Ada et Nouazi Kemkeng, 2019]. Comme l’explique un fonctionnaire de police travaillant au service de l’identification, les pratiques de modification de l’âge posent un sérieux problème pour la production des CNI biométriques : Depuis cinq ans, vous avez dû constater, il y a une crise de la CNI au Cameroun. Les usagers se plaignent de ne pas pouvoir obtenir ce précieux sésame. Pour certains, il s’agit d’un problème de logistique, de manque de car- tons et autres matériels ; mais pour moi qui suis dans ce service, je constate plutôt que c’est la double ou la triple identité qui bloque la production des cartes. Tenez par exemple, il y a des personnes qui avaient dans l’ancien système jusqu’à deux ou trois CNI avec des noms et des âges parfois différents. Désormais, lorsqu’un tel cas se présente chez nous, le système biométrique bloque sys- tématiquement son dossier qui est ensuite envoyé au ser- vice du contentieux pour examen approfondi. Le changement de l’âge est donc en grande partie à l’ori- gine de la non-production des milliers de CNI des usa- gers31. À l’heure où les tests IRM sont utilisés par les auto- rités sportives pour déterminer l’âge des athlètes et les tests osseux par les services de police de pays dévelop- pés pour déterminer l’âge des migrants, la brusque rigidification administrative entraînée par la biométri- sation des identités civiles invite ainsi à une réflexion de fond sur la légitimité de l’instrumentation des seuils d’âge par l’État. La biométrie semble devenir ainsi une infrastructure de confiance (trust infrastructure) pour déterminer et/ou sécuriser l’âge civil contre les pos- sibles modifications susmentionnées. Ethnologie française, LIII, 2024, 1 ■ Conclusion La modification de l’âge civil est désormais un fait social qui invite à repenser l’économie des biens iden- titaires. L’âge civil en lui-même occupe une centralité dans la vie des sociétés bureaucratiques et biomé- triques. Son instrumentation par l’État fait de lui un artéfact biopolitique au service de la gestion des indi- vidus en compétition pour l’accès aux postes et car- rières. Les seuils d’âges institués sont des tris qui déterminent ceux qui sont éligibles ou non aux emplois publics, ainsi que la fin de l’employabilité. Les réformes récentes sur l’âge de la retraite, ici ou ailleurs, réactualisent le rôle de ces barrières dans la gestion de l’État. Cependant, nous avons vu que l’âge civil est aussi une institution que les individus manipulent en retour pour contourner ces seuils institués. C’est dans cette logique qu’il faut inscrire l’invention de « l’âge Kumba », qui loin d’être une disruption du contrat social, traduit en réalité un contournement des normes en lien avec un désir d’insertion sociale dans un contexte postcolonial marqué par le chômage et la pauvreté. Ce qui suscite l’interrogation, c’est le fait systématique de rajeunir dans une société qui accorde généralement de la valeur à la progression en âge, considérée habituellement comme synonyme d’une augmentation du pouvoir d’action et de prise de déci- sion au sein de la communauté, en raison de la hiérar- chie traditionnelle qui privilégie souvent les aînés. Ainsi, en contournant les normes administratives, le concept de « l’âge kumba » défie les normes sociales traditionnelles. « L’âge Kumba » n’est pas celui des interactions sociales puisqu’il ne modifie pas la hiérar- chie de l’aînesse. Il est celui du rapport avec l’adminis- tration qu’il s’agit de contourner. Les « Kumbatois » sont des « sujets » qui rusent avec l’État pour y faire corps en décrochant une position institutionnelle, pro- messe d’une meilleure vie. Mais ce projet d’émancipa- tion vis-à-vis des barrières d’âge est complexifié par l’avènement du gouvernement biométrique qui réduit considérablement les possibilités de modification des éléments identitaires. Cet article expose ainsi une contradiction des sociétés en voie de démocratisation où d’un côté, l’on conteste le primordialisme et cau- tionne les recompositions identitaires avec la liberté individuelle de se redéfinir, de choisir son identité sui- vant la logique d’un présent liquide [Bauman, 2007] ; et où de l’autre côté, l’on interdit la modification de l’âge civil parce que marqué du sceau du sacré. Cette Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 113 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) 114 Georges Macaire Eyenga réflexion réinterroge une société où la définition des seuils d’âge informe sur la violence symbolique de l’exclusion des individus en raison de leur âge. Elle invite à préfigurer peut-être une société émancipée de ▍Notes 1. Je tiens à remercier Philippe Combessie, Guillaume Vadot, Fils Beboulé, Ruphin Engué et Noé Le Blanc pour leurs commentaires qui m’ont permis d’enrichir ce texte. Ce manuscrit a été discuté au sein de la Chaire « African Trust Infrastructures » dirigée par Keith Brecken- ridge, à qui je suis très reconnaissant. 2. Propos issus d’un focus group réalisé dans un lycée de Yaoundé, septembre 2020. 3. Page 8, in Jina Moore, « Uganda Lifts an Age Limit, Paving the Way for a President for Life », New York Edition, 21 December 2017 [https://www.nytimes.com/2017/12/20/ world/africa/uganda-president-museveni-age- limit.html]. 4. On peut citer l’exemple des 800 ensei- gnants qui avaient adressé une demande de modification de leur âge afin de repousser leur départ à la retraite, suscitant de vives contesta- tions dans l’espace public. Voir Eliza- beth Ohene, « Letter from Africa: Why age is just a number in Ghana », BBC News, 14 May 2017 [https://www.bbc.com/news/world- africa-39859738]. 5. Patrick Juillard, « Affaire kanga : la RDC déboutée, le Gabon jouera bien la CAN ! », Foot 365, 26 mai 2021 [https://www.foot- ball365.fr/affaire-kanga-rdc-deboutee-gabon- jouera-bien-can-9969784.html]. 6. La modification va généralement dans le sens de la réduction de l’âge et très peu dans celui de son augmentation. 7. Mis à part quelques exceptions, notam- ment pour l’accès aux forces spéciales et cela depuis 1989. [https://www.assemblee-natio- nale.fr/12/pdf/rapports/r1517.pdf] 8. Au Cameroun, pays avec environ 28 mil- lions d’habitants, moins de 10 % de la popula- tion active (soit environ 350 000 agents publics sur 6 millions de personnes actives) accède à cette « sécurité professionnelle » qu’offre la fonction publique [NGATHE KOM et NJIM- BON, 2014]. Un pays tel que la Côte d’Ivoire, avec une population d’environ 27 millions d’habitants, compte également environ 295 000 fonctionnaires, ce qui constitue une situation similaire. 9. L’âge civil dont il est question ici se dis- tingue de « l’âge calendaire » qui correspond au nombre de jours écoulés depuis la naissance ; de Ethnologie française, LIII, 2024, 1 l’arbitraire des barrières liées à l’âge, où la liberté indi- viduelle de se redéfinir ne serait pas subordonnée à des impératifs d’État. « l’âge physique » qui réfère aux transformations physiologiques du corps et de l’apparence et de « l’âge social » qui renvoie à l’âge socialement institué par le statut socio-professionnel, ou les cérémonies du cycle de vie, etc. 10. Voir : https://www.legifrance.gouv.fr/ jorf/article_jo/JORFARTI000001337001. 11. Les personnes handicapées justifiant d’une formation professionnelle ou scolaire reçoivent des préférences pour l’emploi et bénéficient d’une dispense d’âge de cinq ans lors des recrutements dans les secteurs public et privé. À qualification égale, les personnes han- dicapées bénéficient d’un égal accès à l’emploi. Voir les articles 1 et 2 du Code du Travail de 1992 ; art. 38 & 39 de la loi no 2010/002 du 13 avril 2010 portant protection et promotion des personnes handicapées ; § 13, 14 et 15 du décret no 2018/6233/PM du 26 juillet 2018 fixant les modalités d’application de la loi no 2010/002 du 13 avril 2010 portant protec- tion et promotion des personnes handicapées. 12. Communiqué Radio-Presse no 00216/ CRP/MINDEF/024/4 du 13 janvier 2021 du ministère de la Défense. 13. Arrêté no 0002922 MINFOPRA du 30 avril 2020 portant ouverture d’un concours direct pour le recrutement de dix (10) journa- listes, session 2020. 14. Arrêté no 002998 MINFOPRA du 30 avril 2020 portant ouverture d’un concours direct pour le recrutement de trente (30) contrôleurs-adjoints du travail et de la pré- voyance Sociale, session 2020. 15. Georges Dougueli, « La retraite ? Jamais ! », Jeune Afrique, 2 juillet 2010. 16. Voir le décret no 2020/369 du 3 juillet 2020. Ce décret abroge toutes les dispositions antérieures contraires, notamment celles de l’article 150 (1) du décret no 2001/145 du 3 juillet 2001 portant statut particulier des corps de la santé publique. 17. Voir le décret no 2020/802 du 30 décembre 2020 portant harmonisation de l’âge de départ à la retraite de l’ensemble des fonctionnaires. Ce décret abroge l’alinéa 1 de l’article 124 de la loi du 7 octobre 1994 portant Statut général de la Fonction publique de l’État, qui disposait que la limite d’âge pour l’admis- sion à la retraite était de 50 ans pour les fonc- tionnaires de catégorie C et D et de 55 ans pour celles et ceux de catégorie A et B. 18. Anne Féconde Noah, vice-président du Parti camerounais pour la réconciliation natio- nale (PCRN), « l’âge d’admission aux concours de la fonction publique devrait aussi être har- monisé par souci d’équité », Facebook, 30 décembre 2020 [https://www.face- book.com/FecondeAnne/posts/ 213266547018642]. 19. Dans un système contributif, les pen- sions sont directement proportionnelles au montant total des cotisations versées au cours de la carrière de l’adhérent. Dans un système redistributif, les pensions sont indépendantes du montant des cotisations versées. 20. Entretien avec un fonctionnaire de 50 ans, Yaoundé, décembre 2020. 21. Clément Vaillant avec AFP, « Le Néer- landais Émile Ratelband ne rajeunira pas de 20 ans. La justice néerlandaise a débouté ce sexagénaire qui se dit victime de discrimina- tions à cause de son âge », 03/12/18 [https:// www.huffingtonpost.fr/insolite/article/le- neerlandais-emile-ratelband-ne-rajeunira-pas- de-20-ans_135912.html]. 22. Entretien avec un agent de sécurité d’une société de microfinance, Yaoundé, décembre 2020. 23. Entretien avec un parent d’élève, Yaoundé, décembre 2020. 24. Voir Alexis Billebault, « La fraude sur l’âge, fléau persistant du football africain », Jeune Afrique, 12 mars 2020. 25. Lire « Samuel Eto’o brands José Mou- rinho “a fool” for questioning his age », The Guardian, 15 may 2014. 26. Voir Featurist, BABAAH « Danse du grand-père » [https://www.youtube.com/watch ?v=gLyueCtfpGs]. 27. Voir l’article 135 (*) du code discipli- naire de la Caf, modifié à la suite de la réunion du Comité d’urgence tenu au Maroc le 5 mai 2018. 28. Entretien avec un officier de police, Yaoundé, décembre 2020. 29. Entretien avec Patrick, un spécialiste du monde digital, Yaoundé, janvier 2021. 30. L’objectif de développement durable (ODD) numéro 16.9 vise « d’ici à 2030, [à] fournir une identité juridique pour tous, y compris l’enregistrement des naissances ». Cela signifie que l’objectif est de garantir que chaque individu ait un enregistrement officiel de sa Pixellence - 08-03-24 11:09:15 RE0447 U000 - Oasys 19.00x - Page 114 - BAT - Dynamic layout 0 × 0 © P re ss es U ni ve rs ita ire s de F ra nc e | T él éc ha rg é le 1 6/ 03 /2 02 4 su r w w w .c ai rn .in fo ( IP : 4 1. 20 2. 21 9. 24 4) © P resses U niversitaires de F rance | T éléchargé le 16/03/2024 sur w w w .cairn.info (IP : 41.202.219.244) L’invention de « l’âge Kumba ». Comment l’âge des individus est-il devenu dynamique au Cameroun ? 115 naissance, ce qui est fondamental pour l’accès à une gamme de droits et services, tels que l’édu- cation, la santé et d’autres services sociaux. L’idée est de réduire l’apatridie et de renforcer ▍Références bibliographiques ALAPHILIPPE Daniel, Kamel GANA et Nathalie BAILLY, 2001, « Le passage à la retraite : craintes et espoirs », Connexions, 76 (2) : 29-40. 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SAJOUX Muriel, 2015, « Introduction : penser les vieillesses à l’aune des diversités africaines », Mondes en développement, 171 (3) : 7-10. ▍ABSTRACT The invention of the “Kumba age.” How did people’s age become so fluid in Cameroon? This article analyzes how individuals react to age barriers imposed by the state in accessing public service positions in Cameroon. The use of civil age as an identification artifact demonstrates that this tool has a political significance, enabling the classification and categorization of individuals competing for public service positions. The established age thresholds serve as criteria determining the right to employment and the end of employability. Faced with discriminatory effects, individuals engage in various processes to alter their age whenever it conflicts with their career plans. However, this manipulation of age-related identity becomes critical with the advent of the biometric state, more vigilant than the documentary state when it comes to managing personal data. This article concludes that age modification practices, far from being a mere disruption in social dynamics, herald the emergence of a society where age becomes fluid, with implications for civil identification. Keywords: Public service. Instrumentation. Identification. Kumba age. Cameroon. ▍ZUSAMMENFASSUNG Die Erfindung des „Kumba-Alters“. Wie wurde das Alter der Individuen in Kamerun dynamisch ? Dieser Artikel analysiert, wie Individuen auf die vom Staat festgelegten Altersbarrieren beim Zugang zum öffentlichen Dienst in Kamerun reagieren. Die Anwendung des Zivilalters zeigt, dass dieses Identifikationsartefakt eine politische Bedeutung hat, die die Klassifizierung und Kategorisierung von Individuen im Wettbewerb um den Zugang zu Beamtenstellen ermöglicht. Die festgelegten Altersgrenzen sind Auswahlkriterien, die das Recht auf Beschäftigung und das Ende der Beschäftigungsfähigkeit bestimmen. Ange- sichts ihrer diskriminierenden Auswirkungen engagieren sich Individuen in verschiedenen Prozessen zur Änderung ihres Alters, wann immer dieses mit ihren beruflichen Lebensplänen in Konflikt steht. Diese Manipulation der altersbezogenen Identität wird jedoch kritisch mit dem Aufkommen des biometrischen Staates, der im Umgang mit persönlichen Daten aufmerksamer ist als der dokumen- tarische Staat. Dieser Artikel zeigt, dass Praktiken zur Altersmanipulation keineswegs nur eine Störung im sozialen Spiel sind, sondern das Aufkommen einer Gesellschaft ankündigen, in der das Alter dynamisch wird und Auswirkungen auf die zivile Identifikation hat. Schlagwörter: Öffentlicher Dienst. Instrumentalisierung. Identifikation. Kumba-Alter. Kamerun. ▍RESUMEN La invención de la «edad Kumba». ¿Cómo se dinamizó la edad de las personas en Camerún? Este artículo analiza cómo los individuos reaccionan ante las barreras de edad instituidas por el Estado en el acceso a la función pública en Camerún. La instrumentalización de la edad civil como artefacto de identificación muestra que esta herramienta tiene un sentido político que permite la clasificación y categorización de individuos en competencia para acceder a puestos de funcionarios. Los umbrales de edad instituidos son filtros que determinan el derecho al empleo y el fin de la empleabilidad. Frente a sus efectos discriminatorios, los individuos se involucran en diversos procesos de modificación de su edad cada vez que entra en conflicto con sus proyectos profesionales. Sin embargo, esta manipulación de la identidad relacionada con la edad se vuelve crítica con la llegada del Estado biométrico, más atento que el Estado documentario en la gestión de los datos personales. Este artículo concluye que las prácticas de modificación de la edad, lejos de ser simplemente una interrupción en el juego social, anuncian la llegada de una sociedad en la que la edad se vuelve dinámica, con consecuencias para la identificación civil. Palabras clave: Función pública. Instrumentación. Identificación. Edad Kumba. Camerún. Ethnologie française, LIII, 2024, 1 SAJOUX Muriel, Valérie GOLAZ et Cécile LEFÈVRE, 2015, « L’Afrique, un continent jeune et hétérogène appelé à vieillir : enjeux en matière de protection sociale des personnes âgées », Mondes en développement, 171 (3) : 11-30. SOKOH Gbosien Chris, 2017, « Age Falsification and Its Impact on Continuity and Service Delivery in the Delta State Civil Service », Journal Of Humanities And Social Science (IOSR- JHSS), 22 (9) : 52-63. TOSAM Mbih Jerome, 2015, « The Ethical and Social Implica- tions of Age-Cheating in Africa », International Journal of Philo- sophy, 3(1) :1-11. 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